Papa et maman aiment bien dire que je n'en fais qu'à ma tête, que je suis une petite boule de poils autoritaire. Parfois, c'est vrai. Après tout, je suis curieuse et audacieuse. Mais je suis aussi une princesse. Alors si je laisse les autres tout diriger à ma place, qu'est-ce que je deviendrais une fois sur le trône ? Je vous entends déjà : oui, je suis encore loin de régner et heureusement, je ne veux pas perdre mon papa. Mais on m'éduque dans cette optique, après tout ! Alors je pense avoir le droit d'y songer.

J'ai déjà parlé de ma curiosité. Je pourrais ajouter que j'aime apprendre. Tout le temps.
Sur tous les sujets. Dans toutes les circonstances. Maman dit qu'en cela je suis comme un piranha, qui guette la moindre goutte de savoir pour se jeter dessus. Je n'ai jamais vu de piranha de ma vie, il paraît qu'ils vivent dans l'eau, et moi j'en suis loin.
Mais si maman dit que je leur ressemble, c'est sûrement vrai. Maman a toujours raison.

Papa, lui, dit que je suis assez humble pour reconnaître mes torts. Je suis pourtant rarement dans ce cas. Soit tu as tort, soit j'ai raison. C'est une blague cette phrase.
Mais elle est amusante, car certains la croient vraies. Ce n'est pourtant qu'une phrase purement... comment on dit déjà ? Euh... Je sais plus. Enfin, elle n'a pas de sens. Les idiots tombent dans la blague.

J'aime bien penser que je suis libre d'esprit. Qu'on ne peut pas trop m'influencer. Après tout, j'arrive bien à échapper à la monotonie de chaque jour ! Et puis, j'aime bien rire.
Oui, rire. Rire... c'est comme respirer. C'est indispensable. Ne pas rire, c'est triste.
Comment on peut vivre sans rire ? Moi, je ris tout le temps. Sauf quand il ne faut pas.
Mais le reste du temps, je prends la vie comme il faut, c'est à dire du bon côté des choses. Oui, je suis optimiste et alors ? On n'a qu'une vie après tout ? Et la mienne sera tellement sérieuse plus tard... Alors autant profiter de cette tranquille insouciance tant que j'en ais le droit.

Outre mes parents, le troisième animal dans mon coeur, c'est ma dame de compagnie, Nordhen. Elle est entrée à mon service le jour même de ma naissance, et elle ne m'a jamais quitté. Bon, d'accord, je suis parfois un peu euh... turbulente. Disons qu'aller me cacher, puis partir en courant et en riant quand elle s'approche, ce n'est pas toujours très gentil. Mais je l'aime ma Northy, un peu comme... hum... Je ne pourrais pas donner de nom, mais je l'aime beaucoup.

J'ai jamais froid moi. C'est ma fourrure, elle est très touffue. J'aime bien mon apparence. Je ne suis pas très grande, mais j'ai encore du temps pour prendre de la hauteur. Par contre, j'ai des grosses pattes toute ronde, qui me permettent de marcher sur la neige sans m'y enfoncer, et une très longue queue -elle fait la moitié de ma taille !- qui me donne mon équilibre à toute épreuve. Avec ça,
j'ai un museau pas trop long, arrondi, et des oreilles toujours à l’affût. Mes yeux,
eux, sont bleu pâles, et ils bougent tout le temps parce que je suis curieuse. Et par-dessus tout ça, il y a mon pelage. Très fourni, blanc gris, tacheté de grosses marques noires.

Je ressemble beaucoup à maman, un peu moins à papa. Peut-être pas au premier coup d’œil, mais Northy dit qu'on a le même regard. Mais bon, de toute façon, ce n'est pas comme si des animaux croient que je ne suis pas la fille de papa, parce que presque tout le monde me connaît, sait que je suis la future reine, l'actuelle princesse.

Bonjour à tous, je m'appelle Nokomis. Ça veut dire fille de la lune d'après maman Parce qu'il paraît que je suis née en pleine saison froide, par une nuit très claire et dégagée,
avec une grosse pleine lune juste au-dessus de l'arbre. J'aime bien mon nom. Il sonne joliment.

Chaton, j'arrivais toujours à me faufiler dans la salle du conseil ou dans celle où papa reçoit les doléances du peuple. Après, je courais jusqu'à mon papa pour lui réclamer un câlin. Maman, elle paraît toujours attendrie quad elle me raconte cette histoire. Moi,
je ne m'en rappelle plus, je devais être trop petite.

A l'âge de 6 ans, j'ai commencé les vrais cours. Histoire, géographie, politique, langues,
diplomatie... Papa et maman ont tout fait pour que je sois une petite fille cultivée et que je devienne une reine apte. Il me fait un peu peur ce rôle. C'est du sérieux. Papa,
il est roi. Je crois qu'il aime bien gouverner, même si ça le stresse un peu quand même. Et puis, ça doit être dur de prendre des décisions aussi importantes ! Et toutes ces vies qui dépendent de soi... Rien que d'y penser, j'ai déjà des frissons !

En fait, avant ma sixième année, j'avais déjà un début d'éducation, évidemment, mais une ou deux heures de cours par jour. Papa et maman disaient qu'il ne fallait pas trop me surcharger, que j'étais encore petite, que j'aurais le temps d'apprendre et un peu moins de jouer. Euh... Et puis ils ont changé d'avis, on va dire. C'est peut-être un peu de ma faute.

Un peu. Enfin je crois. Je suis en quelque sorte sortie du château. Et... J'ai prévenu personne ? Euh... En fait, papa et maman écoutaient les doléances du peuple, ils font ça de temps en temps, mais rarement parce que ça fait beaucoup de monde au château. Et puis... quand il y a beaucoup d'animaux, c'est plus dur pour les gardes de surveiller tout le monde. Notamment moi. Parce que j'aime bien m'enfuir. C'est rigolo. Se cacher, surprendre... J'aime bien.

Ce jour-là je suis peut-être allée un peu trop loin.

D'habitude, j'écoute les doléances avec papa, il dit que ça me forme. Mais c'est un peu ennuyant, et j'avais que 6 ans. Je me suis éclipsée doucement, je ne crois pas que papa et maman s'en sont rendus compte que je n'étais plus là. En sortant de la salle, je frôlais les murs. En prenant une porte dérobée, je suis tombée de Shay. Elle m'a fait peur, grande comme elle est. Mais elle avait mon âge, et toutes les deux nous nous sommes vites bien entendues. Je lui ai dit que je voulais sortir, et j'ai réussi à la persuader de m'aider.

Pour information, Shay est une vautour géante. Elle n'a donc eu aucun mal à ma cacher sous son aile. Nous avons traversé le pont. C'était magnifique ! Cette ambiance, ces odeurs... C'était tellement différent de ce que j'avais vécu depuis ma naissance que j'en avais le tournis ! A l'époque, seuls mon proche entourage, avec les gardes et certains nobles, savaient que j'étais la princesse. J'étais encore jeune, tout petite, le peuple ne me connaissait pas bien. J'étais presque incognito. Shay me suivait, l'air un peu stressé, mais moi je m'amusais. Je courrais d'un étale à un autre, humant ces parfums forts mais envoûtants, me faufilant entre les civils pour passer sur les chemins...

C'était enivrant.

Et puis j'ai perdu Shay. La foule m'avait séparée de mon amie, et je n'arrivais pas à la retrouver, trop petite pour regarder au dessus des têtes. Moi, je voyais un flot de derrières,
de queues et de poitrails. Petit à petit, j'ai angoissé. On me bousculait, comme si je n'existais pas, on me poussait, j'étais insignifiante. J'ai finalement réussi à sortir de ce fleuve bizarre mais... Réussi est un vaste mot : je me trouvais juste au bord du gouffre, et les animaux continuaient à se bousculer, moi aussi. Je plantais mes griffes dans le sol mais ça n'a pas vraiment marché et j'ai commencé à glisser. Un cri de terreur a sorti de ma gueule quand le sol s'est dérobé sous mes pattes arrières.

Et puis ce cri s'est éteint quand des crocs puissants se sont fermés sur mon cou. En levant les yeux, j'ai vu et reconnu la lieutenante de la garde. Sans me lâcher, elle m'a ramenée au château. Papa et maman étaient très inquiets, et ils m'ont à moitié étouffée quand ils m'ont vu. Ils ont remercié avec beaucoup d'effusion la lieutenante, leurs regards graves sur moi.
Je me suis recroquevillée : j'allais avoir droit à une bonne disputation.

J'avais raison. Après cette épisode, je n'ai plus réessayé de sortir sans une garde solide, et encore. Et puis, papa et maman ont décidé de me faire faire beaucoup de cours, j'avais trop d'énergie paraît-il.

J'ai revu Shay plusieurs fois après. Elle s'est lamentée, disant que c'était de sa faute si j'étais sortie et tout, mais j'ai réussi à convaincre mes parents que je le lui avait ordonné,
et qu'elle m'avait tout simplement obéit, comme elle le devait.

Bon bah depuis, je n'ai plus fait beaucoup de grosses bêtises, je tenais trop au peu de temps libre qu'il me restait.